Au carrefour de Díaz Vélez et d'Ambrosetti, une voix me tire de mes sombres et circulaires ruminations:
– Eh! Jeune homme! Tu pourrais me traverser?
– Pardon?
– Oui, tu pourrais m'aider à traverser?
– Mais... Naturellement!
Je joins le geste à la parole et je tends le bras à ce vieux monsieur en training appuyé sur sa canne.
– Tu viens d'où, toi?
– De Suisse.
– Oh, Switzerland! What a nice country! Do you like Argentina?
– Yes, a lot, I'm living here for five years.
– Oh great: I lived in Europe for one month!
– Euh... Je crois que le feu vient de passer au vert.
– Your spanish is perfect!
– I'm here for five years...
On se met à traverser Díaz Vélez à tout petits pas, nos mains serrées l'une dans l'autre.
– I know Genova, Trieste... Thank you for your help!
– Do you go far away?
– No, just here: I have to eat something!
J'étais sorti faire quelques pas pour continuer plus à mon aise cette engueulade intérieure avec mon cher Leveratto – je sais pas vous, mais moi, je m'engueule toujours mieux avec les gens quand je marche – et la vie, sacrée coquine, me met dans les pattes un autre vieux monsieur qui, lui, me demande un coup de main.
En laissant mon compagnon de traversée à la terrasse du Kentucky, pizzas monumentales, double ration de fromage – ce qui n'est pas peu dire quand on connaît les pizzas argentines... –, je continue mon chemin l'esprit absolument clair et disponible au monde: même ce petit sac en train de flotter entre les canards du Parque Centenario a quelque chose d'attendrissant, comme s'il me faisait un petit signe, coucou, coucou, avec son anse retournée par le vent.