mardi 14 mai 2013

Echappement libre

Au début, j’étais un peu déçu. Je pensais que ça allait péter dans tous les coins et puis non, la grosse scène de baston, elle venait pas: juste quelques bouts de braquage par-ci par-là pour me donner l’eau à la bouche. Il y avait bien quelques pages au Tchad, des scènes de cul bandantes comme il faut, mais c’était pas ça que j’étais venu chercher.

Petit à petit, j’ai compris que c’était autre chose que Jean voulait me raconter avec son bouquin. Il me montrait comment on devient un voyou, comment on pense quand on est un voyou, à quoi ça ressemble, le monde, avec ces yeux-là. Pas de morale, non, du tout, plutôt un truc genre démonstration mathématique: cette impression de l’histoire qui s’écrit toute seule, ça faisait un bail que ça m’était pas venu.

Alors, quand j’ai fait le deuil des bastons, je me suis retrouvé avec Dominique tout contre moi, sans mots entre nous parce que les mots se démerdaient très bien pour pas se laisser voir. J’ai mis mes bras jusqu’au coude au fond de l’eau grise de l’évier du Victor Hugo et j’ai vu passer de l’autre côté du bar les truands et les putes sur le retour. J’ai senti le poids du sac de pétoires planqué à la cave entre deux bracos et j’ai eu envie de me taper Andrée, la patronne avec ses grosses mains solides.

Ce bouiboui graisseux entre les abattoirs, ça m’a rappelé quand j'étais gosse à Paris dans les années 60 et puis aussi mon premier casse, un tout petit: c’était la poste d’un bled qui s’appelle Maulers. On était trois: Damien, le Chinois et moi. Je m’étais pas couvert le visage et j’étais entré en premier. Je suis toujours entré en premier dans tous mes casses, toujours avec ma tronche à l’air: faire face, chez moi, c’est une habitude. C’est ça qui a fait que je me suis pas pendu avec mon drap pendant toutes ces années où j’ai appris à écrire comme je pense, après, en taule.