dimanche 2 février 2014

Jean

Mon grand-père maternel: voyou: condamné à mort. Mon père, je l’ai pas connu: voyou: mort dans un règlement de compte. Mon oncle Paul dans les paras: déserteur: renier ce pour quoi on s’est engagé, pour moi ça c’était le pire.

Quand j’ai commencé, à 14 ans, je me disais: à moi on va bien me parler, on va me respecter pour ce que je suis parce que je vais faire peur à l’autre monde. Pour moi, c’était clair, j’allais pas faire ouvrier: les chaussures à 2500 balles, ça serait pour bibi! Sous prétexte que vous n’avez pas fait d’études, on vous traite comme des chiens et ça, je voulais pas: la vie est belle avec une arme, ça fait comme un mur entre les autres et vous.

Pour mon premier casse, j’ai volé un pistolet à amorces, un jouet qui ressemblait vachement à un vrai calibre. Après, dans la banlieue sud, on m’a présenté les choses autrement: c’est de là que sont parties les vraies affaires de braqueurs. Pour un coup dans une bijouterie, je me suis déguisé en bourgeois et je suis entré avec une femme juste après la fermeture, comme ça, à visage découvert, en disant qu’on voulait voir la plus grosse pierre. Et puis après, en prison, j’avais plein de gardiens qui s’occupaient de moi dans les quartiers de haute sécurité, des motards quand j’allais au tribunal, des hélicoptères: je me sentais quelqu’un d’important!

J’ai toujours eu deux outils: un calibre et l’écriture. En prison, il faut savoir écrire, tout passe par là: les lettres à l’administration, au juge, à l’avocat, les formules de politesse pour avoir du papier cul, les petits mots pour les filles qui nous aident, tout. L’écriture, pour moi, c’est devenu un moyen de manipulation, mais au sens propre, au sens de prendre en main. J’aime manipuler les gens: attraper l’âme, l’intelligence et le cœur de la personne, c’est un mouvement de survie. La prison n’aide en rien. En prison, c’est la vie qui se passe.

Moi, le cancre, celui qui a quitté l’école à 13 ans, dès que je commence à écrire, immédiatement, j’intéresse. Le travail d’écrivain, en fait, je crois que c’est ce qui ressemble le plus à celui de voyou: on fait des chouettes rencontres, ça en jette. Être romancier, ça donne un statut, mais écrire, faut pas oublier ça, ça va aussi à l’encontre de toute ma vie de voyou: dans le milieu on ne parle pas, celui qui parle est rayé de la liste ou bien mort.

Je suis composé de regrets, je regrette ma jeunesse – j’étais jeune et con et c’était simple! –, je regrette d’avoir changé de vie. La vie était plus facile chez les voyous. La vie chez les honnêtes gens est plus brutale, plus abrupte: il y a un vrai manque de respect, pas de règles, personne ne respecte personne. Dans le milieu, si vous manquez de respect, tout le monde va être contre vous: chaque voyou est respecté pareil que les autres, c’est une obligation.

À présent, j’ai honte de la manière dont je gagne ma vie, je n’aime pas le travail et le travail me fuit. Être écrivain, ça me permet de lever le menton: raconter des histoires, pour moi, c’est facile. Ça me donne une posture et c’est de la prétention, dans le sens de qui prétend à quelque chose. Pour être respecté, on peut donner sa vie: le respect est la chose la plus capitale, c’est ce qui nous fait humains.